La mobilité des frontières politiques (à travers les guerres et les conquêtes, les pactes politiques entre États et les stratégies matrimoniales) et linguistiques a été constante tout au long de la période médiévale, même dans les derniers siècles, lorsque les langues romanes étaient déjà représentées à l’écrit et qu’elles faisaient partie de l’identité politique des royaumes. La modification des limites territoriales a été l’un des facteurs qui a pu favoriser l’expansion de certaines variétés romanes face à d’autres dans les régions de l’Occident médiéval.
Outre l’instabilité des frontières à cause des conflits entre dynasties et seigneurs feudaux, la conquête de nouveaux territoires et les processus de repeuplement (comme la Reconquête dans la Péninsule ibérique du VIIIe s. au XVe s., l’Ostsiedlung du XIIe s. au XVes., la Croisade des Albigeois de 1209 à 1229, les Croisades successives en Terre Sainte et l’établissement des États latins d’Orient, etc.), les conditions des déplacements par terre et par mer se sont améliorées contribuant ainsi aux échanges commerciaux et culturels d’une société en mobilité perpétuelle (McKay / Ditchburn 1999).
À partir de 1100, les conditions sociales, économiques, politiques et religieuses et leurs transformations ont contribué à la renaissance culturelle. Durant cette période, on assiste à l’augmentation et à l’amélioration des activités commerciales et économiques, à la croissance démographique dans les centres urbains, au développement des écoles, à l’apparition des premières universités... D’un côté, l’enseignement supérieur a permis la dynamisation des disciplines scientifiques et intellectuelles, le triomphe de la scolastique comme méthode universelle d’enseignement, la spécialisation en certains disciplines (notamment, le droit et la médecine), le développement de la théologie, etc. D’un autre côté, la création des nouveaux centres d’enseignement a directement influencé le volume et les mécanismes de production des textes écrits et copiés tout au long de cette période. La renaissance culturelle du XIIe siècle a aussi signifié un regain d'intérêt pour le latin et les auteurs de l’Antiquité, ainsi que pour la pensée philosophique et scientifique, en favorisant la circulation de traductions (du grec, de l'arabe, de l'hébreu) de traités et d’autres ouvrages qui n’étaient pas connus auparavant dans l’Occident (Verger 2003).
Dans les sections suivantes, on verra que, pendant cette période, le territoire occidental a vécu essentiellement dans le plurilinguisme, dans les domaines de l’écrit et de l’oralité. Mais le latin n'est pas abandonné : durant le XIes. et le XIIe s., il a eu une remarquable continuation de la tradition écrite en langue latine dans le domaine scientifique (avec d'autres langues classiques) et aussi littéraire. Cette tradition ne s’est pas arrêtée avec la naissance et l'épanouissement des traditions littéraires en langues vernaculaires à partir du XIIe siècle : la coexistence entre le latin et les langues vulgaires dans un même territoire ne s'est pas traduite par une situation de diglossie dans laquelle le latin serait la langue de l’écriture et le roman la langue de l’oralité.