Premières descriptions des langues romanes
Les premières descriptions des langues romanes apparaissent au XIIe siècle dans des contextes plurilingues. Elles obéissent à des raisons pratiques : c'est le cas d'un glossaire anglais-français de termes juridiques qui devait aider les Français à interpréter les coutumes anglosaxonnes. Dans le même contexte géographique, on trouve un Tractatus orthographiae destiné à enseigner (en latin) le français oral du monde du commerce.
Mais les "grammaires occitanes" sont différentes. Elles sont écrites en Catalogne et en Italie du Nord avec l'objectif de faciliter l'apprentissage de l'art (de la langue) du trobar dont le prestige dépassait les frontières de l'aire occitanophone. Cette production est liée à l’épanouissement d’une littérature en langue d’oc cultivée et raffinée qui attirait des poètes alloglottes.
La tradition est inaugurée par les Razos de trobar dont l’auteur est le catalan Raimon Vidal de Besalu, qui a lui-même composé quelques poèmes narratifs. Les Razos auraient été écrites entre 1190-1213 pour un public qui voulait bien comprendre et juger les compositions des troubadours, probablement la noblesse des cours catalanes (Marshall 1972). D'autres "grammaires" furent rédigées sur ce modèle : les Regles de trobar de Jofre de Foixà, la Doctrina d'acort de Terramagnino da Pisa, les Donatz proensals de Uc Faidit...
Il faut pourtant considérer que ces "grammaires" sont très différentes de celles que l'on va voir apparaitre à partir de 1492, à caractère fortement normatif et dont le lien avec le pouvoir royal est explicite.
Vous trouverez ci-dessous un extrait des Razos (Gally 2010 : 60-63 ; son texte occitan suit l’éd. de J. H. Marshall (1972), The Razos de trobar of Raimon Vidal and Associated Texts, Londres : Oxford University Press ; traduction d’Hélène Biu et Cyril de Pins).
Totz hom qe vol trobar ni entendre deu primierament saber qe neguna parladura non es naturals ni drecha del nostre lingage, mais acella de Franza et de Lemosi et de Proenza et d’Alvergna et de Caersin. Per qe ieu vos dic qe, qant ieu parlarai de ‘Lemosy’, qe totas estas terras entendas et totas lor vezinas et totas cellas qe son entre ellas. Et tot l’ome qe en aqellas terras son nat ni norit an la parladura natural et drecha. Mas cant uns d’els (es) eiciz de la parladura per una rima qe i aura mestier o per autra causa, miels o conois cels qe a la parladura reconeguda ; et non cuian tan mal far con fan cant iettan de sa natura, anz se cuian qe lors le(n)gages sia. Per q’ieu vuell far aqest libre per far conoisser la parladura a cels qe la sabon drecha et per ensennar a cels qe non la sabon.Tout homme qui veut trouver ou entendre doit tout d’abord savoir qu’aucun parler de notre langue n’est naturel ni correct pour trouver, si ce n’est celui de France, du Limousin, de la Provence, de l’Auvergne et du Quercy. Aussi, vous dis-je, lorsque je parlerai de "Limousin", entendez par là toutes ces terres, toutes les terres voisines et toutes celles qui s’étendent entre elles. Ainsi, tous ceux qui sont nés et ont été élevés sur ces terres possèdent naturellement le bon parler. Mais quand l’un d’eux sort de ce parler pour les besoins d’une rime ou pour une autre raison, celui que possède le parler reconnu s’en rend mieux compte ; et ils ne s’imaginent pas faire aussi mal qu’ils ne font lorsqu’ils forcent la nature de leur parler, tout au contraire ils s’imaginent que c’est là leur langue. C’est pourquoi je veux faire ce livre pour faire connaître à ceux qui le savent que c’est le parler correct et pour l’enseigner à ceux qui ne le savent pas.
La parladura francesca val mais et (es) plus avinenz a far romanz et pasturellas, mas cella de Lemosin val mais per far vers et cansons et serventes. Et per totas las terras de nostre lengage son de maior autoritat li cantar de la lenga lemosina qe de neguna autra parladura ; per q’ieu vos en parlerai primeramen. Le parler français vaut mieux et est plus convenable pour faire des romans et des pastourelles, mais celui du Limousin vaut mieux pour faire des vers, des cansons et des sirventes. Et dans toutes les terres de notre langue, ce qui est chanté en langue limousine a une autorité plus grande que ce qui l’est en tout autre parler. C’est pourquoi je vais surtout vous parler du limousin.